Voy-agir dédicacé

L’empereur fait ses courses

Alex pousse son caddie orange un soleil fatigué en promotion et foule au Rondpoint d’Absurdie™, où le linoléum murmure de mauvais haïkus et les néons clignotent comme des poux doctrinaires. Il est venu pour du pain de mie, talisman mou sous le bras, mais le supermarché a d’autres ambitions métaphysiques : packs de soda « nostalgie 1997 », petits pois « cultivés sous la supervision d’un chaman comptable », et un haut-parleur qui propose sans honte « kilo de regrets éternels, sachet de nostalgie offert ». Un yaourt existentialiste s’est glissé dans son caddie ; il le regarde comme si le pot contenait la solution aux impôts. Au rayon surgelés la scène attend, sculptée en plastique : un rhinocéros à la corne ornée d’un stalactite fluo, et un hippopotame coincé entre bacs de pizzas quatre fromages, mâchant la vie avec l’air blasé d’un sage en RTT. Le rhino souffle en vapeur, le hippo aspire des frites comme on lit un bulletin météo ; on dirait un roman mal classé au rayon promo. Un employé surgit, tablier Comic Sans, manuel de procédures vide à la main le type qui sait coller des étiquettes mais pas appliquer l’éthique. « Monsieur, vous dérangez l’intimité des surgelés, » dit-il, comme si l’amour avait besoin d’un ticket d’attente. Alex hausse les épaules, grimpe sur une palette de packs collector et improvise un autel entre deux congélateurs : il brandit une boîte de crevettes disco et clame, simple et net, « Ô divinités du discount, dégellez ces cœurs ! » Les crevettes entament un charleston phosphorescent ; la foule se rapproche retraités en tongs, enfants aux ballons fiscaux, un homme-sandwich code-barres pas par ferveur mais parce que le spectacle réclame des témoins.

 

Alex plante sa voix dans le vrombissement des néons : « Habitants d’Absurdie ! L’amour n’est pas une promo. Aidez-les — ou arrêtez au moins de scanner vos vies. » Phrase courte, coup de poing ; la foule applaudit, entre politesse et confusion. L’hippopotame, touché par cette sincérité absurde, fait un pas ; les lumières basculent en rose fluo. Le rhinocéros, libéré, pousse un barrissement qui renverse un présentoir de chips : pluie de confettis salés, klipeurs sortent leurs smartphones, un pigeon-reporter griffonne « Amour ou promo ? » Ils essaient de s’étreindre ; la gondole cède, dévoilant une palette oubliée de cornichons galactiques. Un cornichon cligne des yeux phosphorescents, cameo cosmique qui rembobine l’étrangeté en clin d’œil. Alex repose son pain de mie sur la caisse automatique ; la machine, voix de baryton, l’interroge : « Avez-vous trouvé l’amour ou juste les meilleures promos ? » Alex sourit, rend son ticket plus long qu’un manifeste et répond : « Un peu des deux. Je règle en liquide et en poésie. » Il sort sous un ciel où les enseignes clignotent comme étoiles défectueuses, convaincu que, dans Absurdie, l’amour finit toujours par trouver preneur surtout si on lui colle un prix barré dessus.

 

Selon une idée originale de « un chat qui pète »