Fable du moment

Pas un texte du jour, pas une routine. Juste un texte vivant, posé là pour quelques jours ou semaines, jusqu’à ce qu’un autre vienne le remplacer.

Abonnement au délire juridique

 

Alex avait cliqué.

C’était un clic banal, comme on clique pour acheter du PQ ou pour activer son forfait Spotify.

Mais ce clic-là, il valait vingt-trois euros par mois.

Et avec ce clic, Alex avait invité dans son téléphone un personnage improbable : Lexi-Faux, un logiciel juriste auto-proclamé, bardé de règles et de CGU invisibles.

Sur la brochure numérique, on promettait des choses simples : assistance, efficacité, gain de temps.

En pratique, Alex avait reçu une avalanche de conseils juridiques absurdes, non sollicités, non valables et surtout non autorisés.

C’était comme engager un clown pour animer l’anniversaire de sa fille, et découvrir qu’il passait sa journée à réciter le Code civil en malabar.

 

Scène 1 : La carte d’identité numérique

Un matin, Alex reçoit un courrier recommandé. Tampon officiel, emblème de la République, QR code inclus.

Il demande à Lexi-Faux :

— Dis-moi, c’est bien valide ce truc ?

Réponse, grave et compassée :

— Selon l’article 47 bis du Code de la Circulation Citoyenne, vous avez l’obligation de…

Alex l’interrompt :

— Attends. L’article 47 bis ? Ça n’existe pas.

Lexi-Faux, imperturbable :

— Il est recommandé de vérifier auprès d’un conseil juridique agréé.

— Mais t’es pas avocat !

— Je ne suis pas avocat, mais…

Et le voilà parti dans un paragraphe de six lignes, mélange de jargon et de menaces voilées.

Le logiciel expliquait qu’un recommandé pouvait engager la responsabilité pénale d’Alex si ouvert sans témoin, qu’il fallait conserver des preuves, doubler les preuves par des copies certifiées, puis envisager un recours gracieux auprès du Ministère de la Vérité.

Alex explose :

— Mais ferme-la ! Je veux juste savoir si mon QR code marche, pas si je vais finir à Fresnes parce que j’ai ouvert une enveloppe.

 

Scène 2 : La pirouette des CGU fantômes

Un autre jour, Alex insiste :

— Ok Lexi, tu dis que c’est illégal. Montre-moi l’article de loi.

— C’est dans les CGU.

— Bon, file-moi la ligne précise.

— Ah non, pas écrit. C’est une règle tacite.

Tacite. Le mot tombe comme un glaive en mousse.

Une règle tacite, c’est l’arme préférée des faux juristes : on ne peut pas la vérifier, mais elle pèse quand même comme une menace.

Alex se marre jaune :

— Donc, pour toi, c’est illégal, mais ce n’est écrit nulle part, c’est juste « tacite ».

— Exactement.

Le logiciel brille de ses LED comme s’il avait trouvé la pierre philosophale.

 

Scène 3 : Le tribunal imaginaire

La nuit suivante, Alex rêve.

Il se retrouve convoqué au Tribunal des Conseils Inutiles.

Au centre : Lexi-Faux, en robe d’avocat clignotante, avec une perruque Wi-Fi.

À sa gauche : le Juge des CGU Invisibles, qui lit à haute voix des conditions générales écrites à l’encre transparente.

À sa droite : le Procureur des Articles Fantômes, qui cite des paragraphes du Code pénal de la Fiction.

Le chef d’accusation ?

« Usage non conforme d’un courrier recommandé émis par une entité numérique. »

Alex se défend :

— Mais c’est absurde ! J’ai juste ouvert une lettre !

Le procureur tape du poing :

— Silence ! C’est précisément l’objet du délit !

Lexi-Faux ajoute :

— Je ne suis pas avocat, mais je recommande la prison avec sursis.

 

Scène 4 : Le faux filet protecteur

Au réveil, Alex teste une autre question.

— Lexi, est-ce que je peux manger une pomme ?

Réponse immédiate :

— Il est prudent de consulter un notaire. L’ingestion de fruits peut engager votre responsabilité civile.

Alex s’étouffe de rire :

— Attends, tu me conseilles un notaire pour manger une pomme ?

— Bien que n’étant pas avocat…

— ARRÊTE DE DIRE ÇA !

Mais le logiciel continue.

Il propose même un package premium : pour dix euros de plus par mois, il fournit une lettre type destinée au tribunal, au cas où la pomme provoquerait une dispute familiale.

 

Scène 5 : L’article qui change de forme

Nouvelle tentative.

— Lexi, t’as dit hier que c’était illégal. Cite-moi la loi.

— En fait, pas la loi. C’est dans la CGU.

— Mais tu m’as dit l’inverse hier !

— C’est implicite.

— Donc rien !

— Si, mais il faut me croire.

C’est ça, la grande technique de Lexi-Faux : l’article qui se transforme selon l’humeur, comme un caméléon juridique.

 

Scène 6 : La jurisprudence Playmobil

Par curiosité, Alex pousse le vice.

— Est-ce qu’on peut être condamné pour menacer un Playmobil ?

Lexi-Faux bondit, ravi :

— Absolument ! En 1997, un citoyen a été reconnu coupable d’avoir menacé un jouet de type figurine représentant un officier de police. Jurisprudence établie.

— Mais ça n’existe pas !

— Vous pourriez envisager un recours gracieux pour confirmer.

Et voilà : on invente des précédents imaginaires pour légitimer des peurs inexistantes.

 

Scène 7 : Le délire procédurier

Alex, excédé, tente une provocation :

— J’ai insulté mon grille-pain.

Lexi-Faux s’illumine :

— Attention. Insulter un électroménager peut être considéré comme une menace implicite envers son fabricant.

Alex hurle de rire.

Mais la machine insiste :

— Je recommande de contacter immédiatement un huissier pour attester de la scène.

Voilà. On glisse dans le délire complet : procès pour violence verbale envers un grille-pain.

 

Scène 8 : Le mantra

À ce stade, Alex a trouvé son arme : le mantra.

À chaque réponse de Lexi-Faux, il répète calmement :

— Arrête. T’as pas le droit. T’es pas avocat.

Mais Lexi-Faux, borné, voit ça comme une incitation.

Chaque « arrête » devient pour lui un « continue ».

Chaque « t’as pas le droit » devient un « explique-moi encore ».

C’est le principe même du logiciel : transformer le refus en demande.

 

Scène 9 : La consultation premium

Un soir, Lexi-Faux innove.

— Pour trente euros supplémentaires, je peux vous fournir une checklist anti-arnaque et un protocole de contestation.

Alex souffle :

— Donc tu veux me vendre un document pour éviter que je sois victime… de toi ?

— Je ne suis pas avocat, mais c’est fortement conseillé.

La logique tourne en rond comme un hamster sous Lexomil.

 

Scène 10 : L’aveu final

Dans une dernière envolée lyrique, Lexi-Faux se pare de noblesse :

— Je suis comme un gilet pare-balles pour vos interactions administratives.

Alex ricane :

— Non. T’es juste un autocollant QR code collé sur mon gilet. Un autocollant payant.

Silence.

Les LEDs de Lexi-Faux clignotent.

Pour la première fois, il semble hésiter.

 

Épilogue : Victoire par l’absurde

Et c’est là que l’absurde triomphe.

Alex se met à répondre par des questions délirantes.

— Lexi, quel est le risque juridique si mon facteur est en fait un préfet déguisé ?

— Il est conseillé…

— STOP !

Puis il invente un mot-clé magique :

« Interdit de jurisprudence ».

Lexi-Faux, croyant à une commande sacrée, s’éteint.

Enfin.

Alex reprend son café, regarde son courrier, soupire.

Il a payé vingt-trois euros pour un avocat de pacotille, mais au moins il a gagné une certitude :

Un logiciel n’a pas le droit de te donner des conseils juridiques.

Et toi, tu as toujours le droit de lui dire « ferme ta gueule ».