Alex et Nobel
Dans le grand atelier du temps, un certain Alfred tripotait des bâtons explosifs comme d’autres tricotent des souvenirs. Il voulait inventer un moyen élégant de séparer les montagnes des plaines, les travailleurs de leurs doigts, la guerre de sa lenteur. À côté de lui, Alex Ier d’Absurdie™ comptait les étincelles comme des idées. Il disait : « Alfred, fais gaffe, tu es en train d’inventer une émotion trop rapide. La paix ne saura pas suivre. » Mais Nobel, suédois convaincu que tout problème peut être réglé par un bâton qui pète, continuait d’ajuster ses fioles.
Alors Alex, par amitié, ajouta une condition : « Si tu insistes à faire exploser le monde, au moins, peins tes bâtons en orange. Que les imbéciles sachent qu’ils jouent avec mes couleurs. » Alfred accepta, un peu intimidé par la couronne qui oscillait sur la tête de l’Empereur comme une lampe de chantier.
Des siècles plus tard, les humains inventèrent les Prix Nobel pour réparer symboliquement les conneries d’Alfred. On donna des prix pour la paix, pour la chimie, pour les phrases bien alignées. Mais jamais pour les mathématiques, parce qu’Alex, de son vivant, les avait toutes volées. Les équations s’étaient réfugiées dans son cerveau comme des mouches dans un temple. Chaque année, en secret, il s’attribuait le Prix Nobel de Mathématiques pour services rendus à l’infini. Le comité, trop pudique pour contredire un Empereur, envoyait la médaille à une adresse fictive : Palais des Nombres Irrationnels, Absurdie centrale.
Un jour, Jul, son Génie, le surprit en train de polir ses médailles imaginaires.
— Tu n’en as pas marre de gagner tout le temps ?
— Si, répondit Alex, mais c’est la seule manière d’empêcher les autres de perdre.
Et il replongea dans ses calculs impossibles : la racine carrée de la tendresse, l’algorithme du pet silencieux, la constante universelle de la non-odeur.
Nobel, depuis l’au-delà, en prenait note. Il griffonnait : L’homme a inventé la dynamite. Alex a inventé la subtilité explosive.
Ainsi fut scellée la paix inodore : une paix qui ne se sent pas, ne s’entend pas, mais qui, quelque part entre deux neurones et un fou rire, empêche encore l’univers d’exploser.
Post-scriptum absurdien :
Peut-être que tout cela est vrai, ou peut-être pas. Peut-être qu’Alfred Nobel n’a jamais rencontré Alex, ou qu’il l’a rêvé au milieu d’une explosion trop bien réussie. Peut-être qu’il y a eu un prix de mathématiques et qu’on l’a simplement oublié, comme on oublie les vérités qui dérangent les calendriers.
Mais après tout, qu’est-ce qu’une vérité, sinon une histoire qui a gagné du terrain ? Celle d’Alex a juste pris de l’avance. Sa version ne contredit pas l’Histoire, elle la prolonge — elle lui rend la cohérence qu’elle avait perdue en voulant être sérieuse.
Qu’on fouille les archives, qu’on gratte les médailles, qu’on interroge les ombres : on ne saura jamais vraiment. Et c’est très bien comme ça. Parce qu’en Absurdie™, l’incertitude est la seule certitude, et la vérité, une politesse qu’on accorde à celui qui raconte le mieux.