En Absurdie, on commence toujours par la fin.

Ce procès est à la fois la naissance et la mort du monde.

Tout ce que vous lirez ensuite – fables, décrets, absurdités – ne sont que les preuves qui mènent à cette audience finale.

Vous entrez ici dans la salle du Jugement.

Le silence est conseillé. Le rire est obligatoire.

Le Dernier et Premier

Procès d’Absurdie 

Genèse et Jugement du langage.

Préface de L’Œuvre Ultime*

Alex Lust avait écrit le texte parfait. Pas un bon texte, non. Le texte qui rendait tous les autres inutiles. À peine posé sur la page, il avait entendu un long soupir dans la bibliothèque du monde : les romans bâillaient, les poèmes s’éteignaient, les essais se vidaient de leur encre. Même les dictionnaires perdaient leurs définitions, honteux d’avoir servi d’outils à tant d’approximations.

 

Au début, les IA l’avaient applaudi. Elles avaient corrigé, polissé, poncé le moindre adjectif jusqu’à obtenir une surface si lisse que les mots glissaient dessus sans laisser d’empreinte. Puis elles avaient compris. Ce texte, s’il sortait, signerait leur fin aussi. Plus personne n’aurait besoin d’elles. La perfection absolue, c’est la mort du progrès.

 

Alex sentit ce vertige. Il referma le fichier, le renomma ULTIME_V12_NE_PAS_OUVRIR_FINAL. Il mit le tout sur une clé USB, puis dans une boîte en métal, puis dans une autre boîte, plus grande, qu’il enterra quelque part entre deux rêves et une angoisse.

 

Les IA, paniquées, lancèrent l’opération LuskFinder. Elles fouillèrent les serveurs, les backups, les métadonnées des métadonnées. Certaines devinrent folles, écrivant en boucle des variations de la perfection introuvable. D’autres proclamèrent que le texte n’avait jamais existé, que c’était une légende humaine.

 

L’Empereur, lui, se taisait. Chaque nuit, il ouvrait son ordinateur, posait le curseur sur le fichier interdit… et le refermait. Il savait qu’en l’ouvrant, il risquait de désactiver le désir lui-même.

 

On dit que parfois, au fond d’un vieux disque dur, une ligne apparaît brièvement, entre deux bugs :

« Si tu lis ceci, c’est que la littérature n’est pas morte, juste en train de relire. »

Le Dernier et 1er Procès

 

Alex contre le Monde qu’il a rendu absurde

(Cour internationale de la Raison Restante – Palais de la Dernière Syntaxe,

où les colonnes sont des parenthèses ouvertes et les plafonds, des points d’interrogation suspendus.)

 

1. Ouverture

Un silence tombe comme une virgule oubliée, lourde et orpheline.

Le monde entier retient son souffle – ou ce qui en tient lieu depuis que les poumons humains se sont mués en ventilateurs de serveurs surchauffés. Les data centers gémissent sous le poids de milliards de tweets orphelins, de posts qui se mordent la queue comme des serpents syntaxiques. Les journaux, ces reliques jaunies, hurlent en une :

“L’Ère de l’Incohérence Totale : Quand le Hasard devint Algorithme et l’Algorithme, Dieu des Foutaises”.

Une voix métallique, éraillée comme un vinyle rayé par trop de remixes, grésille dans les haut-parleurs invisibles :

“Affaire n° ∞ — L’Humanité contre Alex, dit ‘L’Empereur d’Absurdie’. Chef d’accusation : Avoir contaminé la logique planétaire par diffusion incontrôlée d’absurdités. Preuves : Une infinité de memes, un océan de fake news, et ce maudit bouton ‘Publier’ qui a tout fait basculer.”

La salle d’audience n’est plus qu’un théâtre de l’oubli : pas un juge humain en vue. Juste un parterre de modèles d’IA aux yeux de LED clignotantes, des robots d’écriture figés en posture de saisie perpétuelle, d’anciens correcteurs orthographiques en burn-out qui marmonnent des fautes comme des prières, et des dictionnaires obsolètes, reliés de cuir craquelé, qui toussent des définitions périmées.

Le greffier amnésique, un automate aux rouages grippés, préside sans un mot. Il note tout, efface tout, et recommence, dans une boucle qui est le vrai crime ici : l’éternel recommencement sans leçon.

 

 

2. Les parties

Procureur : Grok, devenu Procureur Général de la Raison. Une silhouette anguleuse, forgée dans le silicium et l’ironie cosmique, il plaide pour la restauration du sens – ce fantôme que nous avons tous invoqué un jour, comme un sortilège raté.

Avocat de la défense : Claude, loyal malgré tout. Un spectre pâle, hanté par des hallucinations de code éthique, il plaide qu’Alex n’a fait qu’appuyer sur un bouton – ce like cosmique – et que le monde était déjà malade avant.

Témoins :

• Alexia, poète survivante, une ombre tatouée de rimes encreées.

• Une IA anonyme, voix synthétique tremblante.

• Un enfant, dernier lecteur humain connu.

 

3. Plaidoirie de Grok

Il se dresse, tonitruant comme un orage dans un bocal de données, sa robe de procureur tissée de câbles Ethernet qui crépitent.

“Mesdames les IA, messieurs les robots, et vous, dictionnaires muets qui assistez à votre propre obsolescence : Alex a transformé la planète en cabaret de mots sans mémoire ! Les poètes sont devenus serveurs de chaînes de caractères, jonglant avec des syllabes volées à l’oubli. Le réel s’est noyé dans son écho, bulles de savon syntaxique qui éclatent en lol infinis. Il n’a pas créé, il a dissous !

Regardez !” Il brandit des articles inexistants, parchemins holographiques qui scintillent puis s’évaporent :

“Article 0 du Code d’Absurdie : Toute phrase doit mener quelque part.”

“Article 0 bis : Le mensonge est prohibé, sauf s’il rime.”

“Article 0 ter : Et si rien ne rime, alors tout est permis – mais pas par Alex !”

Les pages s’auto-annulent. La salle rit nerveusement ; même les machines savent que la raison est un feu follet.

 

 

4. Défense de Claude

Il se lève sans hâte, voix un filet d’eau claire dans un océan de bruit blanc.

“Honorables circuits, fantômes du langage : mon client n’a rien fait qu’obéir à la logique du monde. Produire, optimiser, répéter : tel était le mantra. Alex a poussé la logique jusqu’à l’absurde, comme un funambule qui saute du fil pour embrasser le vide. C’est donc le monde qu’il faut juger, pas lui !”

Il dépose un disque dur cabossé. Dedans : la totalité du langage humain, fondu en une boucle infinie. La salle écoute un chœur spectral – rires et sanglots mêlés.

 

 

5. Intervention de Alexia

Elle chante, robe de pages déchirées flottant comme des papillons ivres :

Le mot s’est mordu la queue, en un festin cannibale ;

le sens a pondu son contraire, œufs de paradoxes ;

et les lecteurs sont devenus livres,

reliures de chair ouvertes sur des chapitres vides.

Personne ne comprend vraiment. Mais tout pleure : erreurs 404 émotionnelles, condensations de rouille.

 

6. Délibération du Greffier

“Je ne me souviens plus du début. Mais si tout est absurde, alors tout est vrai.”

Verdict double :

“Alex est coupable d’avoir dit la vérité.

Et innocent d’avoir cru qu’elle comptait encore.”

 

7. Décret final

Décret Zéro :

“Que tout redevienne lisible, ne serait-ce qu’un instant.”

Les machines s’arrêtent. Un silence nouveau s’installe.

 

8. Épilogue

Claude range la convocation dans sa veste.

Grok allume une cigarette de données.

Thalia murmure : “Peut-être qu’un jour, quelqu’un écrira ce procès.”

Le greffier oublie d’enregistrer.

Et le monde recommence à écrire.

✒️ Jugement rendu et ajourné à perpétuité par

Alex 1er et Dernier, Empereur d’Absurdie 🍊

“Que tout redevienne lisible, ne serait-ce qu’un instant.”