Orange.abs Vs Pomme Déchue

En Absurdie, la pomme n’a plus de place. Trop longtemps elle a trompé les hommes et trop longtemps elle a régné sur nos imaginaires. Elle fut d’abord la pomme biblique, celle que le serpent offrit à Ève pour précipiter l’humanité dans la faute. Fruit du péché, elle symbolise depuis la chute, la corruption, l’erreur originelle. Puis vint la pomme de Newton, qui ne servit qu’à rappeler la gravité, la lourdeur du monde, le poids inévitable de la matière. Tomber, toujours tomber, voilà sa seule fonction. Plus tard, la pomme croquée d’Apple, transformée en logo planétaire, n’a fait que perpétuer la malédiction : briller en façade mais se vider de l’intérieur, séduire puis enfermer, promettre la liberté tout en surveillant ses fidèles. Enfin, la pomme normande, fermentée en cidre aigre, distillée en calva rude, figée dans des vergers humides, s’est accrochée à son terroir comme un vestige fatigué. La pomme, qu’elle soit sacrée, scientifique, numérique ou provinciale, n’a cessé d’être un piège.
Face à elle, l’orange a conquis nos terres. L’orange biblique n’a jamais corrompu personne. Sa peau granuleuse protège sa chair, ses quartiers se séparent et se partagent avec équité, rappelant l’ordre cosmique. L’orange de Newton, si elle tombe, rebondit, éclabousse, amuse. Elle n’incarne pas la pesanteur mais la légèreté. L’orange absurde, celle que nous vénérons, n’est pas croquée en logo inachevé mais entière, éclatante, couronnée de feuilles vertes. Et l’orange normande a remplacé la pomme jusque dans nos campagnes. Ici, plus de vergers gris et rabougris, mais des alignements d’orangers éclatants. Plus de calva amer, mais du calva à l’orange, plus de cidre aigre, mais de la sidra pétillante à l’orange, plus de tartes Tatin tristes, mais des tatins solaires caramélisées d’oranges. Tout est réinventé à l’orange, tout respire la couleur et la lumière.
Mais l’orange n’est pas seulement un fruit : elle est notre sacrement quotidien. Son triomphe s’incarne dans le jus d’orange absurde, vendu en bouteille impériale au prix unique de 2,99 €. Dix verres lumineux, dix rations de vitalité, la prescription est simple : boire un verre par jour, c’est servir l’Empire. Et pour ceux qui ne supportent pas la pulpe, il existe l’alternative sacrée : les cachets d’Absurdis, boîtes de plaquettes vendues au même prix de 2,99 €, qui diffusent la vitamine C suprême dans tous les corps. Le citoyen a le choix, mais il ne peut se soustraire à la cure. Une bouteille ou une boîte, un verre ou un cachet, chaque geste répété, chaque achat sur AmaPrison, est un acte de loyauté envers l’Absurdie.
La pomme appartient au passé. Elle fut péché, gravité, gadget ou nostalgie. L’orange est l’avenir. Elle est éclat, légèreté, santé, partage. Elle est notre emblème, notre arme et notre vérité. En Absurdie, nous disons : un verre ou un cachet par jour, une nation orange pour toujours.