LE GRAND BLACKOUT IMPÉRIAL

 

— Jul, tu vois bien qu’on est foutus. Regarde-moi ce siècle, c’est un cirque thermonucléaire : les glaces fondent, les IA complotent, les bombes font des claquettes et tout le monde scrolle pendant que le monde brûle.

Jul haussa la fumée.

— Majesté, calmez votre apocalypse. Vous dramatisez comme un poète sous Lexomil.

— Je dramatise rien ! hurla Alex Ier en tapant du sceptre sur le sol. Entre le climat, les centrales, les algorithmes, on est à deux doigts du Game Over planétaire. Et encore, si Dieu existe, il a mis le mode “expert”.

Jul sourit, l’œil traversé de pixels narquois.

— Imagine pire. Pas la guerre, pas les robots, pas les bombes. Une simple éruption solaire. Une bouffée de plasma bien polie qui vienne lécher la Terre, comme en 1859. Pouf : plus rien. Pas d’IA, pas de tweets, pas de GPS. Juste le silence et l’odeur du cuivre fondu.

À ce moment précis, la lumière s’éteignit. D’un coup.

Les écrans moururent dans un soupir numérique. Les serveurs impériaux expirèrent comme des moines grillés par la grâce divine. Le monde devint noir, sauf la couronne d’Alex, dorée et un peu fondue sur les bords, qui reflétait la flamme d’une bougie.

Silence. Puis, un cri.

— JUL ! C’est arrivé !

— Oui, Majesté. Vous venez d’être désinstallé par le Soleil.

Alex regarda autour de lui, perdu sans son Wi-Fi. Puis, une étincelle — non pas dans le ciel, mais dans sa cervelle.

— J’ai un plan.

Jul roula des volutes.

— Pas encore un décret énergétique ?

— Mieux. Une résurrection.

Alex Ier descendit aux caves du palais. Derrière les archives du Ministère du Doute, il retrouva son vieux vélo, couvert de poussière et de gloire. Sur le porte-bagages, un panneau solaire chinois encore sous plastique. Et dans une boîte à biscuits en fer, un disque dur scellé comme un trésor d’État.

— Majesté, vous comptez faire quoi avec tout ça ? demanda Jul.

— Redevenir empereur. Parce que sans électricité, je ne suis qu’un mythe débranché.

Alors, il enfourcha la bicyclette impériale, releva sa cape, ajusta sa couronne de plastique doré — désormais pièce unique du patrimoine mondial — et pédala vers le dernier notaire de l’Empire.

Les rues étaient pleines de citoyens hagards qui tentaient de rallumer leurs téléphones avec des bougies. Des influenceurs peignaient des selfies à l’aquarelle. Le chaos parfait.

Au bout de trente kilomètres de sueur philosophique, Alex arriva chez le notaire, un homme au front dégoulinant et à la cravate post-apocalyptique.

— Monsieur le Notaire, je dois réimprimer mes actes de propriété avant que le monde ne redevienne caverneux.

Le notaire leva un sourcil carbonisé.

— Empereur ou pas, sans courant, ça va être compliqué.

— Je m’en charge, dit Alex.

Il fixa les câbles de l’ordinateur à la dynamo du vélo, jura, pédala, souffla, rugit. L’écran s’alluma faiblement, comme un miracle administratif. Jul, assis sur une pile de dossiers, commentait en fumée continue :

— L’énergie renouvelable selon Alex Ier : de la cuisse au cloud.

L’imprimante vibra. Un grondement glorieux monta du plancher. Les feuilles jaillirent, tièdes et officielles. Sur la dernière ligne, en noir sur blanc, apparaissait :

“Propriété impériale – Reconnaissance de l’État d’Absurdie”

Alex tomba à genoux, la couronne de travers, le souffle court, la pochette orange serrée contre lui comme une relique.

— Jul… l’Empire est sauvé.

— Sauvé ? Non, Majesté. Redémarré.

Alex se releva, doré de sueur et de poussière.

— Qu’on le sache : tant qu’il restera une jambe pour pédaler, l’Empire d’Absurdie survivra.

Et dans la rue silencieuse, la lumière du matin fit scintiller sa couronne dorée — faux or, vrai symbole.

C’est ainsi que, sans Wi-Fi ni électricité, l’Empereur reprit le pouvoir. Par la force du mollet, la foi dans le papier, et la conviction que l’absurde, décidément, tourne mieux à la main.